
MOBILITÉ ET DURABILITÉ
Le projet de restauration de la rivière Cheonggyecheon a été un pilier important dans la transformation urbaine entreprise par la ville de Séoul au tournant du 21e siècle. En effet, ce projet s’inscrit dans une démarche visant à bonifier et transformer les espaces verts sur l’ensemble de la ville . La vision d’un « Green Seoul » évoquée au début des années 90 avait pour mission de transformer la ville en une entité « Culturelle respirant avec la nature » (Jong & Anderson, 2014). À l'époque, les décideurs entrevoyaient l'opportunité de concevoir de véritables espaces verts se démarquant des parcs urbains traditionnels qui favoriseraient la croissance de la biodiversité urbaine (Jong & Anderson, 2014). C’est grâce à cette vision que divers projets de transformations ont été amenés sur le devant de la scène politique et que des initiatives telles que le « Seoul Forest Park » et la restauration de la rivière Cheonggyecheon ont pu voir le jour. Comme mentionné plus haut, cette rivière a vécu plusieurs transformations avant de devenir l’axe vert qu’elle est aujourd’hui. De rivière à autoroute, puis d’autoroute à rivière, ce projet a engendré des transformations majeures, d'abord dans les habitudes de mobilité des citoyens, puis dans la qualité environnementale de ce secteur de la ville (Chung & al, 2012).
MOBILITÉ


Figure 24 : The semi elevated Highway, Seoul museum of history
Figure 25 : The Seoul Cheonggye River, Archdaily
Introduction
Dès le départ, ce projet ne faisait pas l’unanimité au sein de la population et des décideurs publics de la ville de Séoul. Bien que soutenue par un front commun d'élus et de citoyens engagés, l'initiative suscitait certaines craintes : la destruction de l'autoroute, où circulait plus de 375 000 véhicules quotidiennement, pourrait aggraver la congestion routière à l'échelle de la ville (Chung et al., 2012). À la surprise générale, l'effet fut pourtant tout le contraire! Cet exploit a été possible grâce au développement, dès les premières esquisses du projet, de différentes modes de transport collectif structurant (Chung & al, 2012). Des études réalisées quelques années après l’achèvement de ce projet ont démontré que la déconstruction de l’autoroute a provoqué un transfert modal important, une plus grande perméabilité dans les déplacements, ainsi qu’une décongestion du centre-ville :
« Le projet promeut des espaces urbains centrés sur les piétons, des politiques respectueuses de l'environnement et le choix d'un mode de transport durable en réduisant l'énorme flux de circulation au milieu de la ville. T.L » Kim (2007)
Comme évoqué plus haut, parallèlement à la création de ce parc, l’administration de Séoul a entrepris la planification d’un réseau de transport en commun permettant d’absorber le retrait de quatre voies automobiles. En effet, la configuration est passée de quatre à deux voies dans chaque direction (Chung & al, 2012). Par cette réduction de l’espace dédié à la voiture, un grand nombre d’utilisateurs se sont rabattus vers les transports en commun, qui, parallèlement au projet, ont été bonifiés. Six nouvelles stations de métro, connectées aux cinq lignes existantes de l’agglomération, ont été implantées à proximité du corridor vert. Dans ces stations, plus de 100 000 personnes transitent chaque jour (Chung & al, 2012). À la suite de la réalisation du projet, le réseau de métro a vu sa part modale augmenter de 9,85% (Chung & al, 2012). De chaque côté du parc, des lignes d’autobus de type « SRB » ont été implantées de manière à faire le lien avec ces stations, créant ainsi un véritable corridor de mobilité dans la ville. Grâce au développement de nouveaux modes de transport efficaces et au changement dans les habitudes de déplacement des citoyens, les craintes en lien avec le retrait de voies automobiles se sont finalement avérées infondées. Le tableau plus bas illustre la portée de ces changements.

Figure 26 : Chung & al, 2012
En 2003, 1 560 936 véhicules transitaient dans le secteur, tandis qu’en mai 2006, quelque temps après la réalisation de ce projet, 868 481 véhicules y circulaient mensuellement. Cela représente une diminution de ± 45%. Globalement, cette transformation s’est sentie à l’échelle de la ville qui s’est vue, dans certains secteurs, libérée d’un transit automobile intense.
Une plus grande perméabilité
Tout en s’implantant et en s’intégrant comme un corridor de mobilité performant pour la ville de Séoul, le projet de restauration de la rivière Cheonggyecheon a aussi été l’occasion de retisser et de connecter un tissu urbain autrefois fragmenté par le passage de l’autoroute. Tout comme celle-ci, il convient de mentionner que le nouvel aménagement représente toujours une barrière dans la ville. Toutefois, cette dernière est beaucoup plus perméable qu’elle ne l’était auparavant. Les critères d’analyses de Bentley concernant la perméabilité permettent d’ailleurs une vision plus critique sur cet aspect du projet.

Figure 27 :The Seoul Cheonggye River, Archdaily

Figure 28 : The Cheonggyecheon Freeway before demolition, Seoul Museum of History.
En effet, l’autoroute et ses abords créaient un milieu chaotique où se croisaient véhicules, piétons, ouvriers, etc. Cet espace, à la fois dangereux et difficilement praticable, amenait un véritable défi pour quiconque tentait de le traverser." (Jeon & Kang, 2019) Ce « non-lieu » était en piètre état et posait des enjeux de sécurité et de santé publique pour les habitants. La qualité de l’air y était notamment très mauvaise. (Jeon & Kang, 2019)Bien que la rivière continue de marquer une séparation entre les deux rives de la ville, 15 ponts pour véhicules et piétons, ainsi que 7 passerelles exclusivement piétonnes ont été aménagées pour faciliter les déplacements des habitants (Chung et al., 2012). Les aménagements ont été réalisés de manière à sécuriser le piéton. On retrouve une distinction marquée entre les zones dédiées aux véhicules et les espaces pour ces derniers. Tous les ponts sont espacés d'environ 250 mètres, une distance qui permet aux marcheurs de passer d'une rive à une autre dans un délai d’environ 5 minutes, et ce, peu importe sa position dans le corridor vert (Chung et al., 2012). À certains endroits, des traversées informelles ont été aménagées par la juxtaposition de grandes pierres, ce qui bonifie davantage la connectivité en augmentant le nombre d’options d’itinéraire, un aspect important selon Bentley. Afin d’avoir une bonne perméabilité à même le projet, de nombreux accès universels ont été pensés le long du parc, tels que des rampes et des ascenseurs, permettant à tous l’accès aux bords de l’eau. Plus qu’une perméabilité physique, la perméabilité visuelle aussi a été grandement améliorée par le projet : il est aujourd’hui beaucoup plus facile pour quelqu’un de voir à travers l’axe qu’il ne l’était avec l’autoroute. À ce sujet, bien que la végétation grandissante le long du tracé offre de nombreux avantages, il est certain qu’elle a et aura un impact sur la perméabilité visuelle du lieu. En somme, en plus de créer une nouvelle expérience au cœur du quartier, le projet bonifie l’accessibilité piétonne des différents secteurs qu’il traverse.
Regard critique
Bien que ce projet ait offert une série de gains positifs au centre-ville de Séoul par rapport à son niveau de congestion automobile et son accessibilité piétonne, la restauration de la rivière Cheonggyecheon, dans sa conception, présente une omission de taille : il n’y a aucun aménagement pour les cyclistes. Que celle-ci découle d’une volonté d’aménagement ou d’une conjoncture spécifique de l’époque qui était peu favorable aux cyclistes, il est questionnable de n’avoir intégré aucun lien cyclable au projet. Ce grand axe relie une série de quartiers très denses entre eux et l’apport du vélo aurait permis davantage d’options de déplacement pour les habitants du secteur. Il a été soulevé que seuls les secteurs du parc bénéficiant d’un accès direct aux transports en commun et à proximité des zones commerciales sont privilégiés par les visiteurs (Hwang, 2008 ; Hwang & al. 2011). L’intégration de corridors cyclables aurait-elle pu rendre l’ensemble du parc attrayant pour les Séoulites ?
DURABILITÉ
La durabilité selon Gro Harem Brundtland (1987) ou développement durable est une forme de développement qui permet de répondre aux besoins actuels sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. C’est un processus ou les questions environnementales, économiques et sociales dialoguent ensemble afin de favoriser l’émergence de réponse polyvalente à certains enjeux qu’ils soient environnementaux, économique et sociaux (Brunddtland, 1987). C’est dans cet ordre d’idée que le projet de restauration de la rivière Cheonggyecheon a été étudié. Bien qu’il présente une série de bénéfices environnementaux et sociaux importants, il soulève une série de questionnement quant à sa durabilité pour les futurs habitants de la ville de Séoul.
Les effets bénéfiques pour les déplacements des habitants de la ville de Séoul, détaillé plus haut, ont eu des impacts concrets sur la qualité de vie des milieux voisins du projet. En effet, ces secteurs ont vu une bonification de leurs écosystèmes urbains, qui s’illustre par une augmentation de la qualité de l’air, une réduction significative du phénomène des îlots de chaleur, ainsi qu’un enrichissement de la biodiversité, tant terrestre qu’aquatique.
Amélioration de la qualité de l’air
La qualité de l’air s’est nettement améliorée dans la zone restaurée. En effet, en 2010, 4 années seulement après la construction, une réduction de 10 % du dioxyde d’azote (NO₂) a été mesurée. En comparatif, les quartiers voisins ont subi, dans un même délai, une augmentation de 16 %. De plus, dans le secteur d’intervention, les particules fines (PM) ont diminué de 15 %, alors qu’elles ont augmenté de 16 % dans les zones voisines. À la lumière de ces statistiques, il est juste de soulever que l’impact du projet de restauration de la rivière Cheonggyecheon, sur la qualité de l’air, est non négligeable (Jong & Anderson, 2014).
Réduction des îlots de chaleur
Ce projet a aussi eu un impact sur le phénomène des îlots de chaleurs. Par sa forme (un grand axe bordé d’une série d’édifices) le projet forme un corridor de vent qui traverse le centre-ville. Cette configuration amène, au centre de l’entité urbaine, une plus grande quantité d’air frais qui permet une meilleure ventilation ainsi qu’un rafraichissement de l’environnement urbain (Jong & Anderson, 2014). Comme discuté plus tôt, cet effet bénéficie aussi à la robustesse du projet, en permettant l’appréciation de l’espace, même en période plus chaude.
Une biodiversité florissante
Les milieux aquatiques ont également bénéficié de cette transformation. La richesse et l’abondance des espèces de poissons dans le ruisseau ont considérablement augmenté, particulièrement en aval, rendant la faune aquatique plus visible et accessible. Contrairement à d’autres secteurs de la ville, cette zone restaurée est devenue un espace où poissons et autres espèces sauvages peuvent être observés (Jong & Anderson, 2014). Bien que soutenu artificiellement, le projet de restauration s’est en quelque sorte transformé en corridor de biodiversité urbain.
Une résilience accrue face aux inondations
Enfin, comme détaillé précédemment, le projet a significativement renforcé la résilience de la ville de Séoul face aux inondations et crues soudaines en rétablissant la fonction naturelle du lit de la rivière. Grâce à ce dernier, le parc Cheonggyecheon est en mesure d’effectuer une gestion des eaux de ruissellement provenant des milieux qu’il traverse tout en étant en mesure d’absorber des périodes de précipitations intenses (Jong & Anderson, 2014). Les différentes méthodes de captation et d’absorption sont détaillées dans la section WSUD.
Un projet réellement durable ?
Bien que ce projet ait permis d’améliorer les conditions de vie dans le centre-ville de Séoul, sa durabilité, en tant qu’infrastructure, est critiquée par plusieurs experts. En effet, la rivière n’est pas naturelle. Le projet n’a jamais été en mesure de la connecter à ses sources d’origines (Jeon & Kang, 2019). Chaque jour, 120 000 tonnes d’eau sont pompées et déversées dans le ruisseau afin de maintenir un niveau d’eau d’environ 40 cm. Cette eau provient principalement de la rivière Han et des stations de métro avoisinantes (Jeon & Kang, 2019). L’un des rares aspects positifs de cette méthode est que l’eau pompée des stations de métro est, en quelque sorte, réutilisée au profit des citoyens.

Figure 29 : Jeon & Kang, 2019
Avec le déploiement d’un tel système, les coûts d’exploitation ne font qu’augmenter année après année. Comme illustré par le tableau suivant, les coûts d’exploitation de l’infrastructure en 2012 étaient de 7,83 billions de Won, soit 7 868 085$ canadien annuellement (Jong & Anderson, 2014).

Figure 30 : Jeon & Kang, 2019
Avec un coût d’exploitation très élevé et les moyens colossaux qui ont été mis en place pour concevoir et entretenir cette infrastructure, il est juste de se demander si ce projet est réellement durable, et ce, même s’il apporte une série d’impacts bénéfiques pour l’environnement et la qualité de vie des résidents du centre-ville de Séoul.