
ACCEPTABILITÉ SOCIALE ET VIABILITÉ
L’histoire de Cheonggyecheon peut être divisé en 3 phases; la première au 14e siècle, lorsque la rivière s’asséchait naturellement avant d’être élargie et utilisée comme un système de drainage par les résidents de la capitale de Joseon (Séoul). Ensuite, la deuxième phase de l’histoire de la rivière se situe dans la deuxième moitié du 20e siècle lorsqu’elle fut recouverte de béton, puis recouverte d’une route aérienne de 50m de large, avant qu’enfin on y construise une autoroute surélevée en 1976. Enfin la troisième étape de la vie de Cheonggyecheon débute lors de la démolition de la route et la restauration du cours d’eau à ciel ouvert (Kim & Jung, 2019). Malgré cette amélioration importante pour la vie urbaine, la rivière n’est pas, et n’a jamais été un cours d’eau très viable. Encore aujourd’hui, le cour d’eau fonctionne de façon artificielle. Néanmoins, les bienfaits sont nombreux pour la communauté environnante.
L'acceptabilité sociale du projet est passé par un long processus qui visait convaincre les citoyens de la viabilité du projet dans la ville et de la contribution de celui-ci à l’amélioration de leur qualité de vie. L’accessibilité sociale est un concept essentiel dans le domaine du design urbain et de l'architecture. Il fait référence à l'approbation et à l'adhésion des citoyens et des parties prenantes à un projet d'aménagement ou de développement urbain (Corbeil, 2023). Le concept de viabilité est un des critères du développement durable qui souhaite créer des environnements urbains durables, agréables à côtoyer et résilients sur le long terme. Le concept de « Ville viable » est intéressant à présenter pour analyser ce projet. Il définit la ville capable de se maintenir dans le temps, de garder son identité propre et fonctionne comme un écosystème urbain à part entière (Petit, 2008). Nous utiliserons ces concepts pour analyser le projet Cheonggyecheon à Séoul.

Figure 19 : Conceptual divisions of Cheonggyecheon. Kim, E. J. (2020)
Malgré sa popularité locale et internationale qu’il connait aujourd’hui , le projet a été beaucoup débattu et son acceptabilité sociale n’a pas été facile à obtenir. Aujourd’hui, 20 ans après sa construction, « [n]on seulement est-il devenu l'un des espaces culturels civiques les plus attractifs de Séoul, attirant des millions de visiteurs chaque année (Cho, 2002) » il est aussi le symbole d’un virage important dans l’administration de la ville, au début des années 2000 lorsqu’on a décidé de favoriser un développement qui mise sur la viabilité ((Hwang, 2004; Lah, 2011) Kim & Jung, 2019). Les autorités de l’époque voyaient le projet comme une opportunité de remettre de l’avant le cœur traditionnel de Séoul par un projet restructurant et qui miserait sur une reconnaissance du contexte historique et culturel de la ville ((O’Byrne, Miller, Douse, Venkatesh, & Kapucu, 2014) (Kim & Jung, 2019)).
Le processus décisionnel
L’aspect social de ce projet est important depuis les premières discussions car son ampleur touche non seulement les résidents, mais aussi les commerçants et les décideurs politiques qui en font un projet pour leur réélection. Afin de satisfaire le plus grand nombre d’électeurs, ceux-ci ont dû adapter leur projet. Néanmoins, depuis son annonce; plusieurs experts se questionnent sur l’apport de la voix citoyenne dans les décisions. 2000 consultations avec la population et différents acteurs du milieu ont été réalisées durant le processus afin de convaincre les citoyens des bienfaits et de la faisabilité du projet. Plusieurs commerçants craignaient que la démolition de l’autoroute affecte négativement leur chiffre d’affaires ou que le marché immobilier soit plus difficile (Cho, 2010). Ainsi les décideurs devaient présenter un projet durable selon les 3 piliers du DD (l’aspect environnemental, économique, et social) pour convaincre l’importance de cet aménagement. Ces ‘consultations’ incluaient des visites du site pour permettre aux résidents de constater l’ampleur des dommages écologiques que l’autoroute et le recouvrement de la rivière ont causés au fil des années. Ainsi, des écologistes et architectes de projets similaires, à l’international et en Corée, ont été consultés pour affirmer la nécessité de cette conversion majeure. Le maire de l’époque, Monsieur Lee a aussi fait l’effort de consulter et d’intégrer les intérêts des parties prenantes (comme les commerçants) dans la conception (Lee & Anderson, 2013, P.5). On peut observer aujourd’hui le génie du marketing de ce projet qui, en impliquant plusieurs commerçants, a su s’imposer comme une influence importante dans le rayonnement de Séoul à l’international. En effet, l’influence positive du projet sur le centre-ville a propulsé le développement du tourisme par le retour de la narrative d’une ville métropolite, vivante et vibrante teintée d’histoire et de culture, notamment par l’important symbolisme des éléments de design du projet (Lee & Anderson, 2013, P.17).

Figure 20 : Natural space. Chad Anderson
Un coup de pouce pour l'économie
Le constat général par rapport à la qualité de vie est que celle-ci a été amélioré depuis la présence du projet de restauration de Cheonggyecheon. En plus d’offrir du renouveau dans l’espace urbain environnant; le projet à permis de revigorer l’économie locale. En effet, plusieurs commerces avaient de la difficulté à survivre dans ce secteur de la ville notamment à cause de la pollution. En effet, la piètre qualité de l’air était une problématique importante dans la ville de Séoul avant 2005. Les niveaux d’oxide de nitrogène et de benzène étaient plus élevés que la moyenne. Une étude démontre que les résidents du secteur vivaient un risque deux fois plus élevé de développer des problèmes respiratoires (Hwang, 2004). De plus, le vacarme urbain n’était pas idéal pour les commerçants. Ces caractéristiques du secteur affectaient grandement la santé économique de la ville. En effet, « le nombre d'entreprises dans la zone centrale a diminué de 24,1 pour cent entre 1991 et 2000, et la population de la zone était également en déclin » (Lee & Anderson, 2013, P.6). La restauration amenait ainsi un vent d’espoir pour les commerçants de revoir leurs affaires fleurir dans ce nouvel environnement. Une statistique évoquée par Alexander Robinson présente qu’on a pu observer une hausse de 3,5% du nombre d’entreprise dans le secteur entre 2002 et 2003. Cette hausse était le double de la hausse observée dans le centre-ville. Cette hausse à contribué à l’établissement de nouveaux résidents aux alentours de la rivière. En effet, on observera une augmentation de 0,8% de la population contre une baisse de 2,6% dans le reste de Séoul (Robinson, 2011). Cet essor commercial soudain dans le secteur a aussi généré une hausse de 30 à 50% de la valeur des terrains dans un rayon de 50m autour du projet. Une hausse qui est encore une fois, deux fois plus importante que celle du reste de la ville (Robinson, 2011). Une autre étude explique que l’augmentation de la valeur des propriétés adjacentes s’étendrais dans un rayon de 700m autour de la rivière (Lee & Anderson, 2013, p.64). Ainsi, on peut dire que les nouvelles qualités urbaines liés à la mobilité; à la connectivité aux quartiers environnants, ainsi que l’ambiance plus viable apporté par Cheonggyecheon ont grandement contribués au renouveau économique du secteur ainsi qu’a la qualité de vie autour de l’ancienne autoroute.
La principale critique de cet essor immobilier et commercial est que ce phénomène amène aussi la gentrification. Le quartier qui était jadis majoritairement peuplé par la classe ouvrière s’est vu gentrifié une première fois avec l’arrivée de l’autoroute et le recouvrement de la rivière puis une nouvelle fois avec sa reconversion en axe piéton. En plus de l’augmentation des prix des lots aux alentours de la rivière Choi (2014), Kim et Kim (2015) et Kim, Kim, et Jung (2004) démontrent que la restauration n’a pas su protéger les intérêts des commerçants qui habitait les environs. Le gouvernement métropolitain souhaitait surtout l’arrivé de nouveaux commerces, mettant de côté les résidents de longue date. L’effet de cette négligence est que plusieurs ne pouvant plus se payer un local dans le secteur, ont dû quitter et se relocaliser aux limites de la ville (Lee & Anderson, 2013, p.64). Ainsi, les effets économiques semblent favoriser les résidents et entreprises plus aisées.
Une nouvelle qualité de vie
L’amélioration de la qualité de vie autour du projet est un élément important qui a su inciter les citoyens à s’approprié le projet et l’accepter comme la fierté qu’il est aujourd’hui. En effet, des auteurs comme Jang et Kang abordent l’utilisation mixte des espaces et le développement compact mis en œuvre a Cheonggyecheon comme un ajout positif à la ville. La variété des espaces offerts stimule les investissements variés aux alentours de la rivière. L’augmentation de la valeur immobilière mentionnée plus haut peut être attribué à la variété d’ambiances du projet qui stimule les investissements mais aussi sur la nouvelle qualité de vie des résidents, qui font de ce site, un site prisé où il fait bon vivre. En effet, une étude menée par Kim, Lee et Yoon (2013) « se penche sur la dimension des villes saines. Ils ont interrogé 40 visiteurs de Cheonggyecheon et ont découvert que la présence d’une voie navigable urbaine avait des effets positifs sur la santé mentale des citoyens » (Lee & Anderson, 2013, p.63). La santé physique des résidents n’a pas été étudié mais on peut imaginer que les aménagements piétons - majeurs dans ce projet - pourraient contribués à la santé physique des gens qui fréquentent le site. Cho (2002) témoigne de la réussite de Cheonggyecheon comme arène civique où les gens communiquent, apprennent et se soutiennent mutuellement (Lee & Anderson, 2013, p.64). La rivière est aujourd’hui le théâtre de plusieurs activités et initiatives citoyennes. Contrairement à l’essor économique, l’augmentation de la qualité de vie se fait plus ressentir pour les populations moins favorisées pour qui il n’était pas envisageable de se relocaliser et qui ont donc vu une amélioration marquée de leurs espaces urbains publics (Lee, Kim, and Hwang (2007) dans Lee & Anderson, 2013, p.64).

Figure 21 : Trees, flowers, and riverside scenery of Cheonggye Stream in Seoul. Image © woori.88 via Shutterstock
Théâtralisation de la ville
Plusieurs recherches critiquent Cheonggyecheon pour son manque d’authenticité. L’idée que la « restauration de la rivière ajouterais à l’image de Séoul en établissant son identité historique, écologique, culturelle pour développer le tourisme local » à guidé la conception du projet par les autorités. En effet, pour celles-ci, le projet était une opportunité de redorer l’image de la ville et du quartier qui était jadis tout sauf « désirable ». Le mot d’ordre était alors l’élimination des infrastructures de transport désuètes et dangereuses en préservant le passé historique et culturel des zones jadis délabrées pour générer un apport touristique dans la région. Ainsi, les intentions mères du projet semblent faire de lui un projet d’attraction touristique plutôt que de véritable oasis urbaine (Anderson, 2010). C’est l’argument que semblent aussi apporter certains chercheurs qui qualifient Cheonggyecheon d’« un morceau d’artificialité et de superficialité plutôt qu’une véritable préservation de la nature en ville » (An (2003) et Kang (2007) dans Lee & Anderson, 2013, p.62).
Le résultat est un projet de façadisme pour vendre la ville. La restauration aura affecté négativement l’authenticité des espaces historiques bordant la rivière. Looser (2013) décrit d’ailleurs le projet comme « une réorganisation complexe du passé et du présent [qu’il perçoit] comme hautement artificiel ». Ainsi, plutôt que de célébrer les paysages du quotidien, les autorités ont fait table rase et réintégrer des éléments historiques qui avaient depuis, perdu leurs attaches à ce territoire.


Figure 22 : Lantern festival at the Cheongye stream, 2017. Nghia Khanh via Shutterstock
Figure 23 : Beginning of the Cheongye stream in downtown Seoul. Kallerna
Conclusion
Malgré les critiques sur l’authenticité des milieux naturels créés et sur son modèle de conception ‘top-down’; les responsables ont tenté de rallier les habitants en offrant des avantages variés. Le projet a permis d’améliorer la qualité de l’air dans la région, de créer davantage d’espaces verts et un cours d’eau artificiel en milieu urbain, d’optimiser la fluidité du trafic dans la zone, tout en rehaussant l’image de Séoul et en stimulant son tourisme (Lee & Anderson, 2013, p.1).
En outre, cette initiative a également engendré un essor économique significatif pour le secteur, en attirant des visiteurs, en favorisant les commerces locaux et en renforçant le dynamisme général de la région. Le projet est particulièrement intéressant lorsqu’on le compare aux aménagements qui s’y trouvaient précédemment. En effet, le projet a su rétablir les connexions entre les deux cotés de la rivière et à centrer le regard vers la rivière en traitant celle-ci comme un lieu de rencontre plutôt que comme un gouffre à éviter